ACCIDENT D’UN CAR A ROQUEMAURE (30)
Que s’est-il donc passé dans la nuit du 9 au 10 juillet 1995 sur l’autoroute A9 ?
Il est 1 h 15, à hauteur de Roquemaure (30) mais dans le Vaucluse. Un autocar à deux niveaux qui, venant d’Amsterdam, fait route pour Alicante, en Espagne. A bord du véhicule se trouvent plus de soixante personnes. Soudain, l’autocar qui roule à 109 km/h sur la file de droite heurte un semi-remorque qui, sortant d’une aire de repos, roule à 60 km/h. Au moment de l’impact, le chauffeur du car a donné un violent coup de volant à gauche, le véhicule a alors percuté les glissières de sécurité. Mais après un nouveau brusque coup de volant, cette fois-ci à droite, l’autocar part en embardée. Il est déséquilibré et s’écrase sur son flanc gauche, percutant à nouveau les glissières de sécurité et glissant sur plusieurs dizaines de mètres. Sous le choc, les fenêtres du véhicule ont explosé. Des passagers viennent de trouver une mort atroce dans la carcasse broyée, d’autres ont été éjectés. Au total, vingt-deux personnes sont mortes, trente-deux sont blessées dont dix-huit grièvement.
A cette époque j'étais secouriste à la Croix rouge de Carpentras et en fin d’après midi mon directeur m’appelle. Il me demande si je suis volontaire pour aller le lendemain relayer les équipes présentes sur les lieux à la chapelle ardente. Bien entendu j’accepte. Nous partirons à 7h.
Je ne savais pas du tout ce que j’allais trouver là bas, je me suis posée plein de questions, je me demandais même si je serais capable de tenir mon rôle. Impossible de trouver le sommeil.
En route Pascal nous dit qu’on lui avait conseillé de choisir des personnes "fortes psychologiquement " ça voulait tout dire.
Comme c’était les vacances, la chapelle ardente avait été installée dans une école toute proche. Le 1er choc fut de voir les abords pris d’assaut par les journalistes perchés un peu partout afin de photographier le plus possible.
Toujours dans notre ambulance nous entrons dans la cour de l’école, le portail étant aussitôt refermé pas une police vigilante. Un peu partout sont garées des voitures de police et de pompiers. Des gens en civil sont là aussi.
Les collègues secouristes du Gard, n’ayant pas dormi du tout, sont heureux de nous voir arriver. Ils nous expliquent ce qu’on attend de nous ; recevoir les familles, les amener à reconnaître un ou des corps et les réconforter bien sur.
La municipalité a bien fait les choses, à toute heure il y a de quoi se restaurer. Elle a également pu faire venir en urgence une tente réfrigérée pour placer les 19 cercueils, encore ouverts, entreposés dans une salle de l’école pour le moment. La tente étant installée dans la cour il faut procéder au transfert mais si possible hors la vue des vautours armés de caméra et autres. C'est donc une haie de véhicules de pompiers et d'ambulances qui fera office de paravent.
Nous sommes invités à visiter la salle de classe reconvertie en bureau des objets trouvés. Tout ce qui a été trouvé sur les lieux de l'accident se trouve ici. Chaussures, portefeuille, montre etc … Nous regardons mais sans rien toucher. Pas envie. Malgré cela il m'aura fallu des semaines avant que j'arrête de me laver les mains sans cesse.
Un peu plus tard une famille arrive tout droit d'Espagne afin de rejoindre d'autres membres déjà là. La scène est émouvante pour ne pas dire déchirante. Regarder pleurer ces personnes mais tenir bon, telle est notre devise. Ne sommes-nous pas là pour réconforter ?
Après avoir attendu un moment à l'écart, je m'approche de cette famille pour proposer une collation, qui est volontiers acceptée.
Je revois encore cette pauvre femme assise à l'écart, tenant des photos entre ses mains. Elle a perdu ses parents et ses 2 enfants dans ce drame. Ma collègue sort une photo des siens, les mères se comprennent.
Bizarrement, à aucun moment nous n'aurons besoin d'interprète, le cœur parle toutes les langues.
Des psychologues sont là pour recevoir chaque nouvel arrivant avant de passer à l'étape suivante, la reconnaissance des corps. Et justement on me demande d'y accompagner une dame qui arrive du Nord. Son mari dit-elle, avait décidé de voyager en car pour mieux profiter du paysage. Elle devait le retrouver plus tard en Espagne.
Je dois vous mettre en garde maintenant, si vous avez trouvé que c'était trop dur jusqu'à présent alors ne lisez pas la suite car c'est bien pire.
Nous entrons dans la tente, on me fait signe de rester à l'entrée, de toutes façons je n'avais pas envie de m'avancer plus. La dame est invitée auprès du cercueil qui devrait être celui de son mari. Comme sur tous les autres, le couvercle ferme presque entièrement celui-ci ne laissant voir que le visage, ce qui fait que le peu qu'elle voit ne la convainc pas. "Il avait une gourmette dit-elle et une cicatrice sur le bras et si je pouvais voir ses mains … ".
Je m'étonnais que personne ne réponde ni ne lui montre ce qu'elle demandait, aussi ai-je proposé d'aller voir les objets trouvés afin d'identifier quelque chose si possible. Lorsque plus tard je demandais la raison de leur silence, ils m'ont dit alors qu'il était impossible d'en montrer plus que le visage car c'était tout ce qu'il restait du corps. Ce qui d'ailleurs était le cas des autres aussi. Il avait fallu rembourrer dessous, remplir le "masque".
Le choc. Je venais de réaliser à cet instant seulement que les corps n'étaient plus comme de leur vivant mais comme ceux qui avaient été écrasés par un car traîné sur la route. Et les familles non plus ne pensaient pas à ça en venant les reconnaître.
Cette dame ne reconnaissant pas son mari, il fallu procéder à une recherche d'ADN.
Une autre famille eut aussi une hésitation et on l'emmena donc voir la jeune fille hospitalisée et dans le coma. Je n'ai pas su la suite.
Chaque fois qu'un corps était reconnu, le cercueil était fermé de suite et une plaque d'identité apposée dessus. Puis il était sorti de la tente afin de moins choquer les personnes suivantes.
Il n'était point besoin de se retourner pour savoir que l'embaumeur arrivait, cette odeur m'est restée un moment dans le nez.
Une messe fut faite dans l'église du village l'après midi. Là encore il a fallu ruser pour éviter les médias sans aucun respect pour la douleur des familles.
Des habitants de Roquemaure venaient proposer un hébergement chez eux pour les familles, mais ceux-ci voulaient rester près de leurs disparus.
Plus tard le Préfet du Gard a invité tous les secouristes ayant participé à cette épreuve à une journée de soutien psychologique. Que de larmes, trop longtemps contenues, ont coulé ce jour là. Et coulent encore ce jour.